Cela fait un moment que je m’interroge sur notre relation aux projets et que j’avais envie de vous faire part de certaines réflexions dans un article… Le voici ! Je questionne dans les lignes qui suivent la place du contrôle et de la volonté dans notre façon de développer des projets et propose, de façon exploratoire, un imaginaire décalé pour penser les choses radicalement différemment…
De la gestion de projet à la rencontre de projet
Prendre un projet en main, c’est décider de s’impliquer pour agir de façon directe sur le projet. Cela sous-entend un engagement conséquent, avec une intention de contrôler les paramètres du projet ou, à défaut, de tenter de le faire, au maximum.
Je crois que c’est la vision la plus partagée du développement des projets aujourd’hui. Une vision confortée par une sémantique très évocatrice : on parle de gestion de projet (il s’agit de maîtriser) ou de conduite de projet (il s’agit de mener ou de diriger). Il y a donc les chef·fes de projet pour décider… à moins qu’ils ne deviennent, à bout de souffle, des porteurs de projet. Je trouve très intéressant d’observer qu’il n’y a pas de nuance dans notre langage. Soit on maîtrise le projet (au risque de la toute-puissance), soit on le porte (au risque de l’épuisement). Dans les deux cas, le projet se réduit à un poids ou à une chose inerte qui a besoin de notre intervention volontaire pour prendre vie.
Même si elle est rarement questionnée, je sens que cette vision me gêne. J’ai comme un malaise devant cette quête de contrôle absolue (et souvent inconsciente) et cela me donne envie d’ouvrir un autre imaginaire. Et pourquoi pas, même, l’imaginaire inverse.
Mon esprit s’est laissé emporter par une rêverie autour de la question suivante : quelles sont les situations de ma vie dans lesquelles j’avais une intention claire et très peu de contrôle sur la façon dont elle pouvait s’incarner ?
C’est alors que des souvenirs d’autostop ont émergé. Et avec eux, une image : et si c’était le projet qui me prenait en stop ?
La puissance de l’attente
Pour moi, faire du stop, c’est habiter l’instant et accepter l’attente, tout en maintenant un certain état de vigilance et de réactivité pour saisir les opportunités. On peut percevoir l’attente comme une phase de maturation, qui danse avec l’observation, l’écoute, l’accueil et la disponibilité. Dans un projet, cette phase d’attente est essentielle (bien que souvent escamotée car nous nous propulsons dans le monde du faire à vitesse grand V). Elle est, je crois, un préalable indispensable à toute naissance de projet.
Dans mon expérience du stop, l’attente est très variable et elle peut être raccourcie par des stratégies : le choix du placement sur le bord de la route, le choix de la pancarte, le choix de ce qu’on écrit dessus, le comportement adopté lorsque les automobilistes s’approchent… La personne qui fait du stop n’est donc pas complètement passive et à la merci des aléas, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Elle se renouvelle dans la répétition : à chaque pouce levé, c’est une nouvelle voiture qui passe, une nouvelle possibilité, on ne se laisse pas user pas les voitures qui défilent. De même, dans un projet, il y a cet enjeu de ne pas se laisser décourager par les « non » que l’on reçoit, même s’ils s’accumulent.
Mais il y a quand même, bien sûr, l’angoisse de rester au bord de la route. Les doutes, la peur du vide et du manque… Or, quand un projet n’est pas mûr ou tout juste en train d’émerger, je peux avoir la sensation que je piétine, et avec elle la tentation de vouloir forcer en m’agitant davantage, dans une fébrilité inquiète qui entraîne de la dispersion, voire de l’inconsistance. C’est tout un art de rester en présence avec le projet, alors même que celui-ci ne prend pas corps, au-dehors. Accepter d’être sur le bord de la route, à l’arrêt tout en étant dans les starting blocks.
Il y a là, je crois, un apprentissage essentiel : cultiver la présence et la consistance intérieure, et ce même au cœur des aléas que nous propose le monde. Réussir à s’ouvrir entièrement à ce qui est, sans démissionner de ce que l’on souhaite et projette. Et se rappeler que c’est souvent quand rien n’est déjà écrit que tout peut encore naître.
Apprendre à se laisser porter
Parfois, la temporalité du projet n’est pas la mienne : je suis prêt·e depuis longtemps, mais rien ne se passe… encore ! Ce qui peut générer un sentiment d’impuissance, très inconfortable, d’autant plus inconfortable qu’il cohabite avec un élan sincère de voir ce projet éclore au grand jour.
J’ai observé, dans ma façon de mener des projets (ou d’être menée par eux !) que c’est quand je suis profondément en paix avec le sentiment d’impuissance que mes peurs fondent et laissent place à l’émergence, au neuf, aux surprises fertiles. Je nourris à la fois une intention claire et un détachement sur les résultats. C’est souvent à ce moment-là que la rencontre a lieu. Une rencontre impromptue, un bout de chemin partagé, un voyage inattendu, ponctué de conversations et d’enrichissement mutuel. Car il se trouve que, le projet et moi, nous avons une destination commune.
Inventer sa façon de se relier aux projets
Contrairement à ce que le titre de cet article sous-entend, sans doute qu’il n’y a pas à choisir entre l’index pointé (je maîtrise tout) et le pouce levé (je me laisse porter). Je crois qu’il y a bien plus que deux façons de faire et que la réflexion n’est pas aussi binaire. Mon espoir, en précisant ces polarités, c’est d’ouvrir les imaginaires et d’impulser une réflexion sur la relation que nous entretenons avec nos projets : cette image d’un chef·e de projet qui attend tranquillement que le projet veuille bien le convoyer à l’endroit désiré, que peut-elle semer dans nos façons de travailler ? Que se passe-t-il si je considère – ne serait-ce qu’une minute- mon projet comme une entité vivante, elle-même mue par ses propres forces et son rapport au monde ? De quelle façon puis-je me rendre disponible à une rencontre, à un dialogue organique plus qu’à un monologue maîtrisé ? Et qu’est-ce que cela exige de moi ?
Faire corps avec un projet
Ma façon de rencontrer un projet, c’est de me laisser toucher, c’est de le ressentir au-dedans, depuis mon corps en mouvement. C’est de faire corps avec lui. Écouter sa raison d’être à l’intérieur et la laisser prendre racine en moi, tout en observant finement ce qui se joue au-dehors. J’ai la conviction que les approches corporelles sont particulièrement précieuses pour travailler en profondeur sur un projet. En offrant une source d’informations complémentaire au mental, les sens nous invitent à nous relier à l’essence d’un sujet. Par un processus de décentrage où l’on fait exister les informations sur un terrain inhabituel (comme en Life/Art Process où l’on conjugue mouvement, gestes, dessins, poèmes), des associations d’idées se font et des directions émergent. Elles ont la saveur de l’évidence car l’expérience s’est vécue au-dedans. L’idée n’est plus seulement un concept issu du mental, elle a été éprouvée en soi, intimement. La vision est incarnée.
Envie de tester sur un projet qui vous anime ?
Je serais ravie de vous accueillir dans un prochain stage ou une formation, si cette approche vous parle !
Les 4-5 décembre à Paris : « L‘art de ressentir un projet », une immersion sensible pour rencontrer un projet qui vous tient à coeur !
Le 14 décembre à Brest (29) : atelier « En corps vivant » de 14h30 à 17h30 à la PAM.
Les 16-17-18 décembre à Nantes : formation « Faciliter, en corps ! » en coanimation avec Pierre Paris.
Le 21 janvier à El Capitan (tiers-lieu dans l’Orne) : soirée découverte autour du Life Art Process
Le 22 janvier El Capitan (tiers-lieu dans l’Orne) : atelier « L’art de rencontrer un obstacle »
Les 23-24 janvier El Capitan (tiers-lieu dans l’Orne): atelier « Entreprendre de tout son être »
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