Si je répondais à cette question de façon éminemment subjective, je dirais : c’est une approche qui a changé ma vie. C’est ce dont le monde a besoin. C’est une façon extraordinairement puissante et organique de se relier à soi et aux autres. C’est un chemin pour cultiver son alignement personnel, en s’appuyant sur l’expression artistique et l’intelligence du corps.
Seulement… dans cet article, j’ai envie d’adopter une approche plus dépassionnée et d’inviter une certaine neutralité, afin d’aller décortiquer pour vous les processus et les outils qui sont au coeur de cette pratique. D’où vient le Life Art Process® ? Sur quoi cette approche s’appuie-t-elle ? Que se passe-t-il concrètement dans une expérience de Life Art Process® ?
Cet article fournit des exemples concrets pour illustrer les concepts présentés, ainsi que quelques témoignages audios au fil de la lecture.
L’origine du Life Art Process®
Cette pratique est née en Californie en 1978 et elle continue d’y grandir, grâce au Tamalpa Institute qui forme des praticien·nes chaque année. Elle a été inventée par la pionnière de la danse post-moderne américaine, Anna Halprin, et sa fille thérapeute et artiste, Daria Halprin. La traduction littérale en français serait : « Processus Vie Art ». L’idée sous-jacente, c’est que nos créations sont des sources d’informations précieuses qui agissent comme des révélateurs de ce que nous traversons dans nos vies et réciproquement : nos expériences de vie informent, nourrissent et influencent nos façons de créer. Imaginer un pont entre nos créations artistiques et nos existences, c’est la contribution singulière du Life Art Process®.
La philosophie du Life Art Process®
Inventer un autre rapport à l’art
Le Life Art Process® implique de modifier profondément notre vision et notre définition même de l’art. On emploie beaucoup les mots « art », « expression artistique »ou « artiste » et ces mots-là peuvent inhiber lorsqu’on se sent éloigné.e d’une démarche artistique. Il est important de préciser qu’en Life Art, on ne se réfère pas à l’art avec un grand A, l’art que l’on va admirer dans les musées, l’art que l’on va consommer dans les salles de spectacle, l’art qui parfois nous impressionne et à côté duquel on se sent tout.e petit.e. Il s’agit de l’art qui nous place en position de créateur, de créatrice, l’art qui nous invite à nous engager dans le feu du monde, dans l’intensité et l’authenticité de l’expression, quelle que soit notre technique, quel que soit notre parcours. C’est un art accessible, qui jaillit de l’intime et de notre vérité profonde. C’est un art qui peut s’exprimer dans le quotidien et qui ne nécessite aucun talent artistique ou prédisposition particulière. C’est un art pour toutes, un art pour tous. Vraiment.
Allier intention, attention et action
Lors d’une session de Life Art, on a recours au mot « artiste » pour parler d’une personne qui engage tout son être dans une activité de création : si je bouge à l’écoute de mon corps, je deviens l’artiste de ma danse du moment. Si je jette sur le papier quelques traits de couleur en lien avec mon état émotionnel actuel, je suis l’artiste de ce dessin-là. L’enjeu est d’aligner son intention (être au clair sur ses motivations profondes, ses élans d’exploration en lien avec le sujet abordé), son attention (cultiver une qualité de présence, de disponibilité, d’ouverture) et son action (faire depuis son être profond). Avec cette approche, on peut se dire par exemple qu’une danse, c’est quand on bouge en conscience ; qu’un poème, c’est quand les mots coulent d’eux-mêmes ; qu’un dessin, c’est lorsqu’on joue avec ses mains…
La puissance de guérison des arts expressifs
Or, quand on utilise ce qu’on vit (nos expériences, nos émotions, notre quotidien), quand on part de cela pour initier une démarche artistique, et quand on conjugue attention, intention et action, il se passe la plupart du temps quelque chose de très étonnant : les créations sont traversées par une force de vie, elles s’imbibent d’une énergie particulière qui porte, emporte, transporte vers de nouveaux horizons. Un autre regard naît, des ressources inédites apparaissent.
Les outils du Life Art Process®
Comme le nomme Nadège Degris (codirectrice de Tamalpa France), il y a dans le Life Art Process « des outils précis et des portes d’entrée très concrètes » pour faire l’expérience de soi-même. On pourrait citer trois portes d’entrée principales : le dessin, l’écriture et le mouvement, auxquelles s’ajoutent des portes d’entrée complémentaires comme l’improvisation vocale et le jeu théâtral. La richesse du Life Art Process provient à la fois de la diversité des canaux d’expression engagés (on convoque tour à tour la danse, l’écrit, les créations visuelles et sonores) et des liens créés entre ces canaux (on peut danser un dessin, faire parler une posture, dessiner un ressenti corporel…).
Le dessin
Le dessin est un ingrédient clé du processus. On se focalise bien plus sur le processus que sur le résultat. Jusqu’ici, j’étais familière des outils visuels en tant que praticienne de la facilitation graphique et formatrice aux techniques de pensée visuelle. Avec le Life Art, j’ai découvert une autre façon de dessiner : une façon très intérieure, somatique et corporelle. Dès notre arrivée à l’Institut Tamalpa, on nous équipe de grands carnets à dessin et d’une boîte de pastels : c’est fou tout ce qu’on peut vivre avec ces deux outils. Le grand format a été très libérateur pour moi, même si j’ai conscience que cela peut aussi inhiber. Quant aux pastels, avec les textures, les aplats de couleur et les dégradés qu’ils permettent, ils ont été une révélation et des catalyseurs d’expression. L’invitation à dessiner consiste essentiellement à se rendre présent.e à ce qui est et à se laisser traverser. Je me laisse dessiner plus que je ne dessine, dans le sens où il n’y a pas besoin d’avoir une image précise de ce que l’on veut créer avant de s’y mettre. Tout se passe moment par moment et c’est cela que je trouve beau. Aussi, on lâche le beau. On s’en fiche que ce soit esthétique, que ça ressemble à quelque chose. Ce qui compte, c’est que le dessin soit vivant, qu’il vienne de nous, de notre vérité. Bien sûr, on ne se délivre pas toujours facilement des codes esthétiques et on peut rester prisonnier.e de certaines normes, ne pas oser, se juger, critiquer sa production… mais lorsque j’ai compris que la Jeanne intransigeante n’était qu’une part de moi, et que cette part me limitait grandement, j’ai appris à l’accueillir, la reconnaître et aussi la tenir à distance. Peut-être que j’ai pu faire sans elle parce que je l’ai prise dans les bras, en tout cas au début : reconnaître combien l’injonction à réussir était forte, réaliser à quel point le regard des autres comptait pour moi, ressentir ma fragilité et ma vulnérabilité face à l’acte de création, accueillir toutes les émotions que ces prises de conscience génèrent m’a aidée à m’émanciper et à faire un pas de côté pour oser prendre les pastels et laisser libre cours à ce qui venait. Sans attente. Sans jugement. Sans pression. Les sessions de Life Art sont précisément des moments où je peux être, simplement être, profondément être. Avec moi-même et avec plus grand que moi. Avec l’expression artistique comme compagnon.
-> L’autoportrait
L’autoportrait consiste à se représenter, de la tête aux pieds, à un instant t, soit de façon globale « moi en ce moment », soit en lien avec une situation particulière « moi dans cette relation », « moi face à tel défi », « moi dans cette équipe »…
L’unité de l’être est pensée ici comme la résultante d’une harmonie entre ses différentes parties. Grâce à la technique de l’autoportrait, les tendances à l’intérieur d’une même personne, les facettes de l’individu, les contradictions et oppositions qui nous habitent peuvent être pleinement accueillies et se manifester à travers les différentes parties du corps. Chaque partie devient alors l’incarnation d’une part de soi. Lorsque j’ai suivi la formation de Life Art en Californie, nous consacrions une semaine à chaque partie du corps, pour aller à la rencontre de sa singularité, de son histoire, de sa « mythologie ».
L’enjeu est donc d’intégrer des éléments anatomiques dans ce dessin, sans pour autant être fidèle à notre apparence physique (l’autoportrait n’a pas besoin de nous ressembler visuellement pour nous représenter profondément). On peut ainsi s’autoriser à déformer notre corps (avoir une tête immense par exemple), prendre des libertés par rapport aux parties du corps (je peux me dessiner 4 bras si je le souhaite, ou pas de pied droit…) et intégrer des symboles ou motifs figuratifs précis (je peux me dessiner une fougère à la place de mon bras gauche, une porte à l’endroit de ma gorge, …).
-> Les 3 niveaux d’attention et de réponse
Une façon typique de prendre contact avec soi en Life Art Process est de conjuguer la technique de l’autoportrait avec trois niveaux de conscience de soi, en réalisant ainsi trois autoportraits successifs :
mon autoportrait sur le plan physique
mon autoportrait sur le plan émotionnel
mon autoportrait sur le plan mental
On peut imaginer ajouter une quatrième dimension, en intégrant par exemple le plan spirituel.
Cette série d’autoportraits permet ainsi de se focaliser sur des éléments précis et de poser sa conscience sur des aspects délimités de son intériorité. Il est alors possible de voir des échos, des liens ou des oppositions entre les différents niveaux, et d’identifier lequel nécessite davantage notre attention.
Le mouvement
Le Life Art Process® s’appuie sur l’intelligence du corps et propose des expériences dans lesquelles le corps est invité à sentir, bouger, explorer, intensifier, transformer tout ce qui le touche et le traverse. On appréhende alors le corps dans une dimension fondamentalement somatique et non esthétique, c’est-à-dire qu’on se relie au corps uniquement depuis notre vécu intérieur. Le mouvement est guidé par les sensations intimes et non par la volonté de reproduire une certaine forme extérieure. Là encore, l’énergie est investie sur le processus et non sur le résultat. Les grilles de lecture classiques « beau/moche », « vrai/faux », « bon/mauvais » n’ont aucune valeur, car elles figent l’expérience dans des normes extérieures qui n’ont pas de sens d’un point de vue somatique. Seule la réalité intérieure et subjective compte. C’est elle notre boussole. Cet aspect est central dans la pratique du Life Art et peut sembler déroutant à toute personne qui débute : notre société nous conditionne tant à chercher des validations extérieures qu’il peut nous sembler difficile de nous autoriser à être et suivre ce qui se présente, sans arrière-pensée, sans jugement, sans la petite voix intérieure qui tantôt ratatine, culpabilise ou empêche…
Dans une expérience de Life Art Process®, on fait d’emblée confiance au corps pour manifester ce qu’il perçoit, à travers son langage singulier : le mouvement. Les gestes, les postures, les danses ouvrent à un autre champ perceptif, proposent un nouvelle source d’informations et deviennent souvent des métaphores riches de sens.
L’écriture
L’écriture est ce qui vient donner du sens, expliciter, souligner la singularité des créations ou la puissance des ressentis. Grâce à elle, les productions visuelles ou corporelles se fraient un chemin vers le monde du langage et se donnent à voir autrement. En Life Art, l’écriture peut prendre différentes formes.
Il y a le traditionnel titre ajouté au dessin, qui cristallise le coeur de la démarche et met en valeur ce qui aurait pu rester caché. Ce titre peut avoir un début imposé dans la technique de l’autoportrait, où l’on invitera souvent la personne à finir la phrase « Celle qui… » ou « Celui qui… »
On peut rester dans le champ artistique en convoquant une écriture poétique : laisser émerger un poème, qu’il soit court comme un haïku ou beaucoup plus fourni, permet de continuer à dévoiler le sens du dessin, du mouvement ou de la posture.
Il est aussi possible de s’appuyer sur la technique du dialogue : on écrit un dialogue entre une partie d’un dessin et une autre, entre deux ou plusieurs parties de notre corps (dans le cadre d’un autoportrait), entre un premier et un deuxième dessin, entre un geste et un dessin ou toute autre combinaison inspirante. Cette approche permet de donner la parole aux différentes parts de soi, nous invite à comprendre chacune, à être témoin de chacune. Pratiquer ce type de dialogue est souvent très ressourçant et unifiant : on s’aperçoit que l’on n’est pas réduit à ces parties-là, mais qu’on les contient toutes. On peut plonger en chacune tout en s’en distançant.
Quelle que soit l’option choisie, l’écriture qui nait d’une session de Life Art est très sensorielle et intrinsèquement spontanée. Elle jaillit plus qu’elle n’est produite. Elle trouve sa source dans les couleurs, les sons ou les mouvements qui sont apparu.e.s davantage que dans nos raisonnements et nos capacités cognitives. C’est en ce sens qu’elle a un goût particulier, qu’elle laisse une empreinte singulière et que les mots qu’elle laisse émerger continuent souvent de nous accompagner, bien au-delà de la session. Ils infusent, ils pénètrent en nous, ils s’ancrent.
-> Les questions spéciales Life/Art
Ce sont des questions qui facilitent ce pont entre nos créations et notre vie. On part des créations (décentrage) pour aller regarder, questionner et approfondir le sujet sur lequel nous travaillons (recentrage).
Voici quelques questions typiques en Life Art :
« Si ce dessin pouvait parler, que dirait-il ? »
« Si cette couleur/ texture / forme (…) pouvait parler, que dirait-elle ? »
« Si cette posture pouvait parler, que dirait-elle ? »
« Si ce mouvement pouvait parler, que dirait-il ? »
« Si ce son pouvait parler, que dirait-il ? »
Il y a aussi des questions sur-mesure à inventer à partir des productions artistiques elles-mêmes, en s’appuyant sur les couleurs, les gestes, les motifs et les symboles qui émergent.
Le son
La voix, le rythme et les mélodies sont également invités dans la pratique. Même si ce n’est pas systématique dans l’approche de Tamalpa, je trouve que la dimension sonore apporte une épaisseur supplémentaire. On dit beaucoup de soi à travers l’intimité d’une voix.
Une danse peut être prolongée par des chuchotements, des improvisations chantées ou rythmées. Par exemple, un état émotionnel peut se donner à entendre avant d’être dansé. Un dessin peut être exploré d’un point de vue sonore : quels sons, quelles mélodies appelle-t-il ? Si l’on travaille sur un projet particulier, on peut se demander quels seraient les sons de ce projet, s’il pouvait prendre l’espace sonore.
Une façon traditionnelle d’intégrer la voix en Life Art est de formuler une dédicace : « je danse pour »… « je dessine pour.. » C’est très courant à l’entrée d’une performance rituelle (voir plus bas). Nommer à voix haute ce que l’on souhaite cultiver, nourrir ou exprimer est une façon de le faire exister davantage.
Le jeu théâtral
Il est possible de convoquer le jeu théâtral, en imaginant des personnages et des états de corps spécifiques afin d’incarner entièrement une facette de nous-mêmes ou un aspect d’une situation. On intensifie l’expérience de cette facette en la personnalisant, en lui donnant corps, en la faisant parler, en la jouant comme on jouerait un personnage de théâtre.
Différents types de personnages ont été repertoriés : le sauveur, l’évitant, l’agresseur, la victime, le résistant… Un personnage souhaitable et sain fait partie de cette grille : Il est nommé « the responder » en anglais, qui ne trouve pas de terminologie évidente en français, mais que l’on pourrait traduire par celle ou celui qui répond aux situations au lieu d’y réagir superficiellement.
Les processus au coeur du Life Art Process®
Décentrage et recentrage
Les arts expressifs fournissent un terrain d’exploration particulièrement riche et aussi tout à fait déroutant : il s’agit de s’exprimer en partant de ses sensations physiques, d’émotions, de métaphores, de son imaginaire, de jeux vocaux et poétiques. Les créations artistiques sont les matériaux premiers qui nous relient à notre sujet, et nous n’avons pas besoin d’élaborer une suite de phrases claires et compréhensibles pour nous sentir connecté.e.s à notre sujet. Le sujet existe, il est investi, exploré, nourri… mais pas de façon frontale (avec les mots habituels). C’est ce qu’on appelle le décentrage.
Si on en restait là, chaque session s’achèverait sur un immense flou artistique… peut-être très agréable, mais pas forcément aidant pour avancer sur l’intention formulée. L’enjeu est donc de parvenir à recentrer, c’est-à-dire à décrypter le matériau créé, en le regardant avec le filtre adéquat et en tissant des liens avec la problématique travaillée. Ainsi vient le temps du recentrage, qui s’effectue principalement par des travaux d’écriture, des expériences d’observation et des allers-retours dialogués entre le/la client.e et le/la praticien.ne en Life Art.
Le processus psychocinétique
Le processus psychocinétique est une grande singularité du Life Art : il s’agit de créer du lien entre les différents canaux d’expression et de permettre un passage et des dialogues de l’un à l’autre. Quand il n’y a plus de mots, les images prennent le relais. Quand l’imaginaire se tarit, le corps entre en scène. Quand la danse touche à sa fin, les mots s’invitent, et ainsi de suite. J’ai toujours le sentiment que les transitions sont très fluides entre chaque media, et je crois que c’est lié au simple fait de changer de modalité expressive : il y a comme une certaine fraîcheur qui s’installe parce qu’on s’ouvre à un autre canal. C’est un processus très organique, qui crée de la douceur. D’autres informations nous parviennent, on se connecte à un nouveau champ perceptif, une autre source, et le travail sur le sujet choisi peut s’approfondir. Ce sont vraiment des boucles de créativité, qui impulsent une nouvelle énergie et une autre perspective, permettant ainsi d’aller au coeur de l’exploration.
Le processus en 5 phases
Le processus en 5 phases est un modèle de compréhension de nos expériences, à travers 5 étapes successives, clairement délimitées.Ce processus m’a beaucoup marquée lorsqu’il m’a été transmis, car j’ai pu relier chaque phase énoncée à mes expériences passées. Je trouve que ce modèle fait sens et permet de faire confiance à l’ensemble du processus, que l’on anime ou que l’on reçoive une session de Life Art.
La première phase est la phase d’identification. Il s’agit de délimiter le champ de l’exploration et d’identifier le matériau qui se présente à nous. C’est le moment où l’on reconnait ce que l’on s’apprête à explorer, où l’on précise le sujet, où l’on devient conscient.e de la problématique abordée.
La deuxième phase est la phase de confrontation. On rencontre pleinement le matériau créé, on l’incarne, on le fait parler, on intensifie son expérience corporelle, on plonge dans les différentes clés d’un dessin (couleur, texture, symbole, titre, détail…).C’est une phase intense qui peut être douloureuse ou fragilisante. L’ingrédient clé ici est la curiosité, l’envie d’aller découvrir et ressentir de quoi il s’agit.
La troisième phase est la phase de lâcher prise (release). C’est le déclic, parfois imperceptible, parfois extrêmement saillant, qui amène à relâcher les tensions accumulées et propose de nouvelles perspectives. Cette phase offre un soulagement et permet de laisser advenir de nouvelles ressources. L’état de corps évolue, et l’état émotionnel avec, ainsi que l’état d’esprit. Un autre regard s’apprête à naître.
La quatrième phase est la phase de changement (change). Une transformation a eu lieu, une nouvelle façon d’être est née, bouleverse nos repères, modifie nos comportements. Le changement est là, présent, perceptible, pour peu qu’on soit disponible. Il est en cours.
La cinquième phase est la phase de croissance (growth). Pour que ce changement doit durable et ne reste pas au stade d’une modification éphémère, il importe qu’il soit consolidé, approfondi et stabilisé dans la durée. C’est ce qu’il se passe dans cette dernière phase, qui permet l’intégration des changements.
RSVP cycle
Les cycles RSVP ont été formalisés par Anna Halprin et son mari Lawrence Halprin. Ils sont pensés comme une méthodologie créative pour faciliter la collaboration sur un projet. L’intention est de rendre visibles et concrets les différents éléments d’un processus créatif. RSVP est un acronyme pour désigner les 4 ingrédients du processus :
R pour Resource en anglais, Ressource. Il s’agit d’identifier et de rassembler tout ce qui est disponible pour la création. Les ressources sont de natures différentes : le temps, le matériel à disposition, les personnes, les idées…
S pour score, qui signifie « partition » (voir plus loin). La partition est un fil rouge pour l’expérience de la création, un point de repère mis en commun auquel chacun·e se réfère. On peut distinguer entre une partition ouverte qui laisse les personnes très libres dans leur interprétation (par exemple, seul un thème est donné) ou une partition fermée (le thème est donné, la durée de la création aussi, les temps forts sont nommés…)
V pour valuaction, qui est un néologisme que l’on pourrait traduire par « évaluagir ». Cette étape consiste à porter un regard sur ce qui a été vécu, nommer ce qui a fonctionné ou non, pour nourrir la prochaine expérience, au regard des envies et des valeurs communes.
P pour performance : à ce stade, l’oeuvre est « performée », c’est-à-dire, pleinement rencontrée par les participant·e·s et proposée en présence d’un public.
L’individu et le collectif dans le Life Art Process®
On pourrait penser que la pratique du Life Art Process®, parce qu’elle sollicite nos intériorités, est par essence solitaire. Or, à mon sens et dans ma façon de l’utiliser, le Life Art se déploie dans la rencontre entre les êtres, dans le dialogue entre les productions des un.e.s et des autres, dans les liens qui se tissent entre les personnes. Dans un atelier collectif de Life Art Process®, toutes les personnes peuvent explorer un même sujet (s’il s’agit de personnes d’une même équipe par exemple, qui s’apprêtent à travailler sur un projet) ou des sujets différents. Dans les deux cas, elles vont générer un matériau singulier : ce sera leurs perceptions, leurs questionnements, leurs ressentis, leurs défis. La force du Life Art, c’est de permettre des espaces de porosité : chaque personne aura l’occasion de rencontrer le matériau de plusieurs autres personnes, et de prendre contact avec les créations produites. Cette rencontre est apprenante à double titre : parfois, je découvre quelque chose de moi grâce au regard que je pose sur la création de quelqu’un d’autre. Par exemple, un détail d’un dessin va m’apparaître comme saillant, et il se peut qu’il parle davantage de moi et de mon rapport à tel ou tel sujet, que du dessin de la personne. Je peux aussi tout à fait être touchée par le partage verbal ou corporel d’un.e partenaire, qui va me proposer une nouvelle grille de lecture sur une création. Ces échos sont précieux car ils éclairent des angles morts de ma réflexion ou rendent explicite quelque chose qui m’a échappé.e, et qui pourtant, au moment où je l’entends, fait sens.
Être témoin et être vu.e
Un façon bien connue et très puissante de se sentir relié.e à quelqu’un est de lui consacrer toute son attention : c’est ce qu’il se passe lorsque l’on est témoin. Je peux être témoin d’une courte danse, de la lecture d’un texte ou d’un chant comme je peux être témoin d’un solo plus long. Se poser en témoin implique d’offrir sa qualité de présence et sa disponibilité. Il s’agit d’accueillir ce qui se vit et de le contenir par sa seule présence. Parfois, le témoin peut être appelé à s’exprimer à son tour, que ce soit en partageant ses ressentis, son imaginaire, ses associations d’idées ou même quelques mouvements.
Pour la personne qui est vue, cela peut être impressionnant au début, on peut se sentir timide, d’autant qu’on sait rarement ce qu’il va se passer sur ce temps de partage, puisque le Life Art s’appuie beaucoup sur ce qui jaillit dans l’instant, sur la spontanéité d’un élan, la fugacité d’un mouvement. Mais cette configuration « artiste/témoin » est précieuse car le regard du témoin crée de l’énergie. Il sous-entend qu’une « scène » existe et que ce qui s’y passe a de la valeur. C’est souvent nécessaire d’être soutenu.e par des témoins pour aller explorer en profondeur le matériau créé. Parfois, le sentiment d’être sur une scène provient uniquement du simple fait d’être en lien avec son dessin : le dessin devient un témoin.
-> Les réponses esthétiques
Une réponse esthétique naît de la proposition de se relier à un sujet en y répondant par une création artistique improvisée et éphémère. Cette création peut être vocale, dessinée, corporelle, verbale… Elle peut être en lien avec son propre sujet ou avec le sujet de quelqu’un d’autre. Je suis centré.e, connecté.e à moi-même et à mes ressentis et c’est en ce sens qu’il s’agit d’une réponse et non d’une réaction, même si elle est furtive. Lorsque j’offre ma réponse esthétique à un partenaire, c’est l’écho de la création de l’autre en moi que je partage.
Je suis complètement fascinée par la force des réponses esthétiques (aesthetic responses) même si je ne suis pas convaincue par la sémantique choisie, car l’adjectif esthétique nous emmène à mon sens sur une fausse piste.
Voici quelques exemples de réponses esthétiques :
Une personne montre son dessin à un petit groupe, disons A, B et C. A peut faire une réponse esthétique d’ordre corporel, en dansant le dessin. B peut improviser un court poème en se reliant à l’image créée. C peut laisser venir des sons et des rythmes en écho à l’énergie globale du dessin. La personne reçoit ainsi de nouveaux éclairages sur le matériau créé, qu’elle peut choisir d’intégrer à son processus ou non.
-> La performance rituelle : être soi devant les autres
En Life Art Process®, on peut explorer un matériau en solo dans la plus profonde intimité ET investir l’espace de la scène en offrant ses découvertes et ses créations à des témoins. La scène procure une intensité particulière et amène à la fois une certaine vulnérabilité et une grande puissance. Elle est le fruit d’une séparation de l’espace entre des témoins bienveillants qui offrent écoute et attention et une personne engagée, qui accepte d’être vue dans ses forces comme dans ses fragilités, alors qu’elle dialogue avec ses créations.
La performance rituelle est un mélange entre un acte d’engagement (la performance) et une puissance symbolique (le rituel). Elle appelle une transformation de l’être. On peut dire qui l’on a envie d’être, ce que l’on souhaite cultiver, ce que l’on a besoin de laisser derrière soi… et grâce à la présence de témoins, grâce à la force de la scène, on ne le dit pas qu’à soi. On est entendu.e et pleinement reçu.e.
Principes de communication
Pour fluidifier les moments de partage au cours d’un atelier, des principes d’échange sont clairement énoncés aux participant.e.s. L’un d’entre eux est la nécessité de parler en « je », pour inviter son authenticité et reconnaître l’aspect fondamentalement subjectif de sa contribution.
Lorsque je partage mon regard sur la création de quelqu’un d’autre, il est important de distinguer trois types d’informations :
- ce que je vois : il s’agit là de mentionner les éléments objectifs : par exemple, telle couleur dans un dessin, telle partie du corps très sollicitée (ou pas du tout) dans une danse…
- ce que je ressens : je me relie à mes émotions, mes sensations intimes, ce que j’ai ressenti au cours de l’expression créative qui m’a été donné.e de voir. J’observe s’il y a plusieurs sentiments, s’il y a une émotion dominante, à quel moment elle est apparue, la façon dont elle s’est intensifiée ou s’est transformée…
- ce que j’imagine : je peux laisser libre cours à toutes mes associations d’idées, inviter mon imaginaire, offrir les liens qui me viennent spontanément… à la condition de nommer qu’il s’agit bien de mon imagination. Dire « j’imagine » me permet de prendre la responsabilité de mon imagination et de reconnaître qu’il s’agit sans doute d’une réalité personnelle, pas nécessairement partagée.
Diffuser le Life Art Process®
Dans ma formation à l’Institut Tamalpa, j’ai appris à concevoir des sessions pour guider des individus ou des groupes au travers des différents outils mentionnés ci-dessus. Ce qui permet une cohérence d’ensemble, c’est la partition. On peut en créer pour une personne seule ou pour tout un groupe.
La partition : fil rouge d’une session
Ci-dessous, un extrait d’une interview de Nadège Degris, qui aborde le sujet de la partition.
Dans toute session de Life Art, qu’elle soit individuelle ou collective, le facilitateur ou la facilitatrice a conçu en amont une partition. Dans le vocable de la formation, on pourrait parler de « déroulé » ou de « programme », mais j’aime ce terme de partition qui offre une certaine liberté en donnant une place possible à l’interprétration, voire à l’improvisation : il est tout à fait possible de s’écarter de la partition selon la rencontre avec les personnes et le contexte, ou d’en ajuster certains éléments, d’accélérer ou de ralentir le tempo, de choisir un passage en particulier… La partition est l’articulation des différentes expériences proposées aux personnes, à partir de l’intention formulée et du thème d’exploration choisi. Elle est pensée de façon à tenir compte de la spécificité du public auquel on s’adresse et doit permettre une cohérence d’ensemble, une diversité d’expériences, tout en facilitant les transitions entre chaque expérience, entre une séquence de création et une séquence de partage, ou par exemple entre une exploration corporelle et une exploration dessinée…
Les ateliers collectifs de Life Art Process®
En principe, l’atelier a un thème qui vous appelle. Vous êtes invité.e à explorer ce thème à travers différents canaux artistiques (cf les outils cités plus haut). Le facilitateur ou la facilitatrice vous accompagne dans la rencontre avec vos créations, en s’inspirant du processus psychocinétique et en suivant les principes de recentrage / décentrage. Vous êtes parfois seul.e en dialogue avec vos créations, parfois en lien avec d’autres participant.e.s. Vous pouvez rencontrer vos pairs en échangeant avec eux directement et/ou par l’intermédiaire de leurs créations. Il peut y avoir du silence, des temps de parole, des temps d’expression corporelle avec ou sans musique. Il y a généralement un cercle d’ouverture et un cercle de clôture.
Au coeur d’une séance individuelle de Life Art Process®
La session s’articule autour d’une problématique, d’un sujet, d’un axe d’exploration que vous amenez. Le travail de la personne certifiée en Life Art Process®, c’est de vous guider dans la rencontre de ce sujet et de vous accompagner étape par étape, en vous proposant diverses activités expressives. La personne qui vous guide peut refléter ce qu’elle observe, vous inviter à approfondir certaines choses, faire des choix pour rediriger votre attention vers de nouvelles perspectives. Elle fait preuve d’une grande curiosité pour toutes vos créations, est attentive aux détails, aux liens, aux oppositions et vous aide à faire les ponts entre ce qui a émergé et le sujet qui vous occupe. Vous êtes dans un cadre sécurisé pour explorer en profondeur ce qui se présente. C’est comme un laboratoire où vous vous autorisez à adopter de nouvelles façons d’être. Vous pouvez les ancrer dans la mémoire de votre corps et dans votre imaginaire, tandis que vos dessins (que vous remportez avec vous, of course !) continuent à infuser au-delà de la séance.
Peut-on se créer ses propres sessions de Life Art Process® ?
S’accompagner soi-même est tout à fait possible, même si cela demande de l’expérience avec la pratique et représente toujours un certain défi. En effet, cela nécessite de plonger dans l’expérience et de la contenir à la fois ; de s’accueillir tout en « s’encadrant ». Il est important d’être familier·e avec les outils du Life Art pour être capable de naviguer d’un canal d’expression à un autre et d’avoir à l’esprit toutes les options possibles, afin de choisir la plus adaptée sur le moment. Pour commencer, il peut être aidant de partir sur des « partitions classiques » en Life Art : se relier à son état physique, émotionnel et mental par exemple, avec la technique de l’autoportrait.
J’ai créé une plateforme de ressources libres et gratuites, qui permet de soutenir les personnes qui auraient envie d’explorer le Life Art pour elles-mêmes. Certaines ressources sont des partitions à vivre pour soi, chez soi, dans un environnement calme et à un moment où l’on se sent pleinement disponible. La partition propose un guide extérieur pour la structure tandis que l’autonomie est totale dans la réalisation.
Dans le cycle « Entreprendre de tout son être » que j’anime, je propose un temps de partage pour identifier les ingrédients clés afin de rendre les personnes autonomes avec cette pratique. Voici la prise de notes visuelles d’une des stagiaires, Hanna Ketels.
Pour aller plus loin :
« La force expressive du corps » Daria Halprin
« Je danse donc j’existe » : un chapitre est consacré au Life Art Process
Sites web :
Retrouvez la liste des praticien.nes francophones dans votre région sur le site de Tamalpa France.