J’ai pris cette photo il y a quelques années, lors d’une formation que j’animais dans une école. Cette image m’a fait mal. Elle m’a renvoyée à mon passé d’élève « gigoteuse », qui, à défaut de pouvoir rester immobile, se tortillait sur sa chaise de mille façons. Elle m’a rappelée cette conception étrange de l’apprentissage qui exclut délibérément le corps. Cette affiche nous chuchote qu’on apprend mieux sans bouger et en se taisant.
Pourtant, la racine même de l’apprentissage est un mouvement : infime, imperceptible, invisible et silencieux, certes. Mais c’est bien un mouvement qui constitue le coeur de l’apprentissage, ce mouvement des neurones qui se connectent les uns aux autres. Comme ce mouvement a lieu dans le cerveau, on a tendance à percevoir notre tête comme le siège unique de nos capacités cognitives – voyez d’ailleurs combien la tête de cet élève est anormalement grosse, tandis que son corps semble réduit à l’enveloppe fonctionnelle qui la transporte.
Je rêve d’une école toute autre, qui invite notre être entier dans la danse des apprentissages. On considèrerait alors notre corps comme une matière sensible et apprenante, qui perçoit, ressent, intègre, transforme et impulse à son tour. Une matière intelligente, qui sait et se souvient, elle aussi. Au lieu de verrouiller les corps, on les célèbrerait dans leur liberté et leur expressivité, en les abreuvant d’explorations sensorielles. On rechercherait le vivant au-delà du vrai. On verrait les gestes, les postures et les mouvements comme les médiateurs d’une compréhension incarnée. On les autoriserait à émerger tels des messagers du savoir puisqu’on se dirait qu’apprendre, c’est peut-être d’abord s’émouvoir et que le corps a bien le droit d’exprimer ce que le savoir lui inspire.
Pour moi, prendre soin du corps de nos apprenants, c’est d’abord reconnaître qu’il existe et s’engager pour qu’il soit bienvenu. C’est s’ouvrir à son langage singulier, le mouvement, et permettre à toute la palette de son expressivité de prendre vie et de se dévoiler. C’est ajouter aux métaphores verbales et visuelles les métaphores corporelles, grâce auxquelles un concept, une idée ou une problématique se donne à sentir, en traversant notre corps, en s’habillant de gestes, et de mouvements. Intégrer le corps dans les processus d’apprentissage, c’est inscrire dans la matière l’abstraction du savoir, contacter l’intime dans l’étranger, et laisser résonner la nouveauté dans la profondeur de l’intériorité. C’est oser croire que le corps peut penser et que c’est avec lui qu’on apprend. C’est se souvenir que la tête fait bel et bien partie du corps.