La dataviz décryptée par Susana Nunes

Alliam a rencontré Susana Nunes, fondatrice de HelloData et experte en visualisation de données. Donner vie aux informations pour donner envie aux citoyens de les comprendre, c’est son métier ! Elle revient sur l’origine et l’évolution de la data visualisation (surnommée dataviz), partage ses outils de travail et commente ses réalisations.

susana nunes
Susana Nunes, fondatrice de HelloData

Comment expliquerais-tu ce qu’est la visualisation de données à un enfant de 8 ans  ?

Je lui dirais que c’est un dessin qui permet de mieux comprendre l’histoire qu’on raconte. C’est-à-dire qu’avec la visualisation de données (dataviz) on n’a pas besoin de lire toute l’histoire pour la comprendre : en un coup d’oeil, on saisit l’information.

Imaginons par exemple qu’on s’intéresse à la consommation d’eau de différents animaux. On pourrait lire un texte décrivant le nombre de litres d’eau consommés quotidiennement par chaque animal. Une fois ces informations transformées en dataviz, ça donnerait quoi ? Chaque animal serait dessiné avec, devant lui, un verre d’eau plus ou moins important, proportionnel à sa consommation d’eau. On n’a plus besoin de lire le texte pour savoir qui consomme le plus ou le moins d’eau, ça se voit aussitôt ! Et surtout, on est directement incité à interpréter le dessin : pourquoi cet animal boit-il plus d’eau que l’autre ? Un enfant pourrait penser que c’est lié à la taille… mais comment ça se fait qu’un dromadaire boit moins d’eau qu’une chèvre ? 

Par ailleurs, plus le dessin est attractif, plus on sera intéressé. Et plus on est intéressé, plus on a envie de faire cet effort de décodage. La dataviz est là pour nous aider à mieux comprendre les informations et les données et nous permettre ainsi de mieux les retenir.

Donc, concrètement, la dataviz, ce sont des dessins ?

Pas seulement. C’est une grande famille en fait : des graphiques aux diagrammes en bâtons en passant par les fameux camemberts, les cartes, les infographies, les schémas… tous correspondent à une représentation visuelle de l’information et font partie de ce courant qu’on appelle la visualisation de données. Mais attention, il y a de la bonne et de la mauvaise dataviz ! Faire un dessin pour faire un dessin, mettre de la couleur pour mettre de la couleur, ça n’a pas d’intérêt. Si c’est purement esthétique, on perd en impact. Mais en même temps, s’il n’y a pas cet attrait sur le plan visuel, on peut être moins curieux et moins tenté de comprendre l’information. C’est un art de savoir réguler les deux dimensions : esthétique et informative. L’objectif est bien de donner à voir de façon à ce que ça fasse sens, ce qui suppose de partir d’abord de l’information, pour ensuite la mettre en scène.

Depuis quand cherche-t-on à visualiser des données ?

Dès les années 1700-1800, les camemberts et les graphiques ont commencé à faire leur apparition. Mais pour moi le déclic s’est fait avec la représentation du trajet des troupes françaises vers la Russie, sous Napoléon, par Charles Joseph Minard. Les chiffres sont quasiment pas lisibles et pourtant, l’image parle d’elle-même [pour la voir, cliquez sur l’image ci-dessous] : deux lignes sont dessinées parallèlement sur la carte et représentent le trajet aller et retour des soldats français. L’épaisseur de la ligne indique le nombre de soldats. On sort alors de la simple retranscription des chiffres pour aller vers quelque chose de plus visuel et sûrement plus parlant aussi. Car le contraste est frappant entre les deux lignes et permet de saisir les énormes pertes humaines engendrées par cette opération.

carte dataviz

Depuis, la dataviz n’a pas vraiment évolué, même si on en parle de plus en plus. On utilise toujours le même type de schémas, de graphiques… Ce qui change désormais, c’est le côté interactif qu’on y ajoute : on a besoin d’impliquer l’utilisateur davantage pour susciter son intérêt et cela nécessite de le rendre actif. Sur le Web notamment, la dataviz évolue en fonction des clics des utilisateurs, qui peuvent sélectionner les couches de données à observer et mettre en relation les informations. Certaines dataviz vont même encore plus loin en s’inscrivant dans une démarche participative : les utilisateurs peuvent rajouter leurs propres données et enrichir la dataviz. Les dataviz classiques fonctionnent toujours mais le niveau d’engagement des utilisateurs n’est plus le même. L’attention peut vite décliner et l’ancrage en mémoire n’est pas aussi fort qu’avec une dataviz où l’utilisateur est sollicité de manière explicite.

Quels sont les principaux bénéfices de la visualisation de données ?

Il a été montré que lorsqu’on poste un message sur les réseaux sociaux avec un hashtag du type #infographie, #dataviz, le message a beaucoup plus de chance d’être lu et partagé. La curiosité est éveillée et l’information se diffuse plus largement qu’à travers un texte classique. C’est aussi parce qu’on a beaucoup plus tendance à partager une image qu’un texte.

Pour les entreprises, la dataviz a un grand intérêt : prenons l’exemple des rapports annuels. Ils sont obligatoires mais pourtant très peu lus, car ils sont souvent longs et indigestes. Les axes de communication sont de plus en plus nombreux (en plus des aspects financiers s’ajoutent les dimensions sociales, sociétales, écologiques…) C’est important d’avoir des outils pour simplifier l’accès à toutes ces données. La dataviz est un de ces outils ! Elle permet de démocratiser l’accès à l’information et de donner les messages-clés. Car on est bien d’accord, ça ne sert à rien que tout le monde lise des rapports d’activité de 200 pages. Et pourtant, il y a une mine d’informations dans ces documents et c’est dommage qu’aucune ne soit mise en relief et diffusée plus largement ! Je trouve essentiel d’outiller les entreprises, les collectivités, les associations pour qu’elles puissent communiquer d’une façon simple et efficace.

Un autre avantage tient à cet aspect « immédiat » et « instantané » de l’information. Le fait de comprendre vite éveille l’intérêt et peut nous amener, paradoxalement, à passer plus de temps sur l’information et à se l’approprier davantage.

Qui a recours à la data visualisation aujourd’hui ?

Tout le monde ! Les graphiques, les infographies, on en voit partout et de plus en plus. Dans la presse, dans les entreprises, sur le Net… Certaines écoles de journalisme ont même créé une section spécifique pour permettre aux futurs journalistes de se perfectionner dans le traitement des données et dans la visualisation de l’information.

Cette tendance reflète un besoin croissant dans notre société : celui de permettre un accès équitable à l’information. A quoi ça sert de mettre en place des plateformes d’open data si peu de personnes savent comment les utiliser ? Si seuls les experts s’en servent ? Ces plateformes sont souvent gorgées d’informations pertinentes, mais qui s’en saisit ?

D’ailleurs, la situation évolue : avant, à l’école primaire, les compétences de base se limitaient à écrire, lire, calculer… Aujourd’hui, la capacité à comprendre des données commence à être reconnue comme une compétence-clé. Dès l’école primaire, on outille les élèves pour leur permettre de questionner l’info et de se l’approprier. Des expérimentations émergent un peu partout, pour former les enfants et le grand public. À Rennes, par exemple, il y a déjà eu quelques ateliers et même la mise en place d’un Infolab.

Que faut-il faire pour une bonne dataviz ?

Je dirais qu’il y a 3 étapes pour réaliser une dataviz dans les règles de l’art :

La première nécessite de bien cerner le message à faire passer. C’est un vrai travail d’investigation, qui se situe au niveau journalistique. Cela demande beaucoup de temps pour analyser les données, les confronter, en extraire l’essentiel.

La deuxième étape permet de rendre l’information visuelle. C’est le travail du designer, du graphiste, qui a analysé l’info et s’interroge sur la forme la plus pertinente pour la transmettre.

La dernière étape concerne les dataviz sur le Web et requiert souvent les compétences d’un développeur. Pour rendre une dataviz interactive, il faut avoir a minima avoir quelques notions de code.

Tu as créé Hellodata, une entreprise de visualisation de l’information. Quelles sont ses missions ?

Quand j’ai découvert la notion de dataviz, j’ai été aussitôt séduite. J’ai constaté que c’était un moyen intéressant pour expliquer de manière très simple les enjeux d’un débat, le positionnement des acteurs, l’évolution d’une situation, l’essentiel d’une problématique. La grande force de la dataviz, selon moi, c’est qu’elle incite à s’émanciper du positionnement des leaders d’opinion et à cultiver son propre point de vue, parce qu’on est directement en contact avec l’information.

hellodata

Avec Hello Data, je propose deux types de prestation :

L’une centrée sur l’autodiagnostic : le but est de mieux comprendre son environnement, de disposer d’un outil d’analyse supplémentaire et d’une aide à la décision.

L’autre centrée sur la communication : il s’agit de faire passer un message, à une cible spécifique, dans un contexte particulier.

Mais pour moi, la dataviz va au-delà de mon activité professionnelle, c’est aussi un engagement personnel concernant la démocratisation de l’accès à l’information. C’est lié à la volonté d’établir une communication plus transparente. Sur mon site je propose, par exemple, des liens vers quelques outils open-source ou gratuits pour tous ceux qui veulent s’y mettre.

Peux-tu nous partager l’une de tes réalisations ?

Voici par exemple un projet mené dans le cadre de la journée internationale de l’open-data, sur le sujet de l’aéroport de Notre Dame des Landes.

NNDL

Tous les acteurs sont représentés, avec des couleurs différentes selon leur positionnement par rapport au projet : pour (vert), contre (rouge), neutres (bleu) et liés par des citations concernant des positions communes ou des partenariats

Cette dataviz permet de visualiser l’ensemble des acteurs du débat, alors qu’ils sont très nombreux et que leurs relations sont souvent complexes à comprendre. En décodant cette dataviz, on s’aperçoit que les acteurs opposés au projet sont beaucoup plus nombreux et organisés entre eux. Bien entendu, cela ne nous permet pas de prendre parti mais d’avoir quelques éléments de compréhension du débat pour prendre en compte les différents enjeux plus aisément.

Voici un autre exemple, réalisé à la demande de la coopérative l’Ouvre-Boîtes 44, pour un magazine : l’objectif était de prouver que la coopérative est présente dans tout le territoire. Et la répartition géographique des entrepreneurs permet de constater que c’est bien le cas. Même si le nombre de points ne permet pas de dire exactement le nombre d’entrepreneurs, l’important n’est pas de donner un chiffre mais de dire : il y en a partout et ils sont beaucoup. Or, le fait que les entrepreneurs soient répartis sur tout le territoire peut faciliter la justification pour obtenir ou renouveler un financement.

dataviz repartition entrepreneurs

Qui peut faire appel à toi ?

Tout le monde, potentiellement ! Hello Data a une expertise sur les thématiques liées aux territoires, à l’action des collectivités, sur la mobilité, l’environnement, la gestion des déchets, la concertation…